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« Drunk », de Thomas Vinterberg, in vino veritas ?

Critique 

Fable et comédie dramatique, le film brillant du Danois Thomas Vinterberg plonge dans les effets désastreux de l’ivresse et de l’addiction. Retenu en sélection officielle au Festival de Cannes, il vient d’être récompensé au Festival de Saint-Sébastien.

  • Jean-Claude Raspiengeas, 
  •  

Lecture en 3 min.

« Drunk », de Thomas Vinterberg, in vino veritas ?

Drunk ***

de Thomas Vinterberg

Film danois, 1 h 56

Selon le psychiatre norvégien Finn Skårderud, l’homme naîtrait avec un déficit d’alcool dans le sang qu’il lui revient de combler pour se sentir bien. Quatre amis, professeurs de musique, d’histoire, de psychologie et de sport dans un lycée danois, à la vie morne et banale, décident de tester cette théorie qui recommande de ne boire que dans la journée, jamais le soir, ni le week-end. Donc, pendant les heures de travail. In vino veritas…

 

Au vu des premiers effets, encourageants, les quatre amis poursuivent leur exploration avec une rigueur scientifique, notent leurs « progrès », dosent les prises d’alcool, multipliant les ruses, et constatent, avec ravissement, qu’ils deviennent meilleurs en cours, désinhibés, plébiscités par les élèves. Le résultat est là. Concluant, euphorisant. Ils se sentent pousser des ailes. Pour rester en altitude, au-dessus du commun, le taux doit rester constant. Certes, mais pourquoi s’arrêter en chemin quand c’est si bon ?

La vie reprend des couleurs, tout semble plus facile

L’un d’entre eux, le prof d’histoire (Mads Mikkelsen), jadis très prometteur, sombrait lentement dans une grave dépression. Il ne tenait plus sa classe, provoquant l’inquiétude des parents d’élèves qui s’étaient réunis pour le lui signifier. Grâce à la méthode de ce psy norvégien, il reprend de l’assurance, subjugue les lycéens, devient populaire et impressionne sa famille.

Il vante habilement, en cours, la réussite exceptionnelle de quelques grands alcooliques comme Hemingway ou Churchill. Des maîtres, des phares. Et son collègue, le prof de psychologie, pousse même un élève tétanisé par un examen à picoler juste avant l’oral pour briser l’armure.

Nos quatre compères n’en reviennent pas des bienfaits que leur procure cette expérimentation clandestine que personne ne soupçonne, ni dans leur milieu professionnel, ni dans leurs foyers quand ils rentrent, s’efforçant de marcher droit, affables et diserts, ouverts d’esprit et joyeusement gais. La vie reprend des couleurs. Tout semble plus facile, léger, évident.

Pourquoi ne pas pousser l’avantage, augmenter les doses, les adapter à la personnalité de chacun ? Les abstèmes (ceux qui ne consomment jamais d’alcool) auront, sans doute, pressenti vers quels gouffres va les entraîner cette trompeuse pratique.

Une fable édifiante et brillantissime

Associé au scénariste Tobias Lindholm (qui a signé la série Borgen), Thomas Vinterberg met en scène, avec délectation, une fable édifiante et brillantissime sur le phénomène de l’addiction. À l’heure où le « binge drinking » (se saouler le plus vite possible et en bandes) s’impose, notamment chez les jeunes, la démonstration ne manquera pas de faire de l’effet. D’ailleurs, le film s’ouvre et se referme sur des rites lycéens, discutables, qui tournent autour de l’alcool.

→ ENTRETIEN. Jeunes et alcool, quand faut-il s’inquiéter ?

Cette comédie dramatique avance en deux temps. Montée et descente. L’envolée, semée de péripéties humoristiques, est drolatique. Et la retombée, saumâtre, sinistre, tragique. La gueule de bois qui cloue au sol n’est pas que physique. On n’est pas loin de La Grande Bouffe, de Marco Ferreri, dans la description désastreuse d’un désir d’absolu.

Depuis sa rupture avec le Dogme 95 qui revendiquait un minimalisme cinématographique, Thomas Vinterberg (qui filme en danois et ne sacrifie pas à l’anglais pour mieux exporter ses films sauf pour Kursk, un film de commande) cisèle un esthétisme élégant - décors, éclairages, bande-son -, contrepoint stylistique à la noirceur de ses sujets. Dans chacun de ses films, on retrouve la fragilité humaine, des scènes collectives qui tournent mal et l’alcool qui rôde pour détruire les personnages.

Mads Mikkelsen, l’un des visages les plus expressifs du cinéma contemporain

Ses quatre comédiens (Mads Mikkelsen, Thomas Bo Larsen, Magnus Millang, Lars Ranthe), récompensés ensemble au Festival de Saint-Sébastien, jouent avec virtuosité cette partition délicate où l’ivresse prolongée exige une maîtrise parfaite dans l’interprétation pour ne pas sombrer dans des effets trop appuyés. Chacun d’entre eux peaufine une forme d’attention aux autres, de compassion, d’entraide désespérée.

Thomas Vinterberg filme, au plus près, Mads Mikkelsen, l’un des visages les plus expressifs du cinéma contemporain qui, d’un regard, d’un silence, fait affleurer la détresse avec une saisissante « sobriété » de jeu.

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Thomas Vinterberg, réalisateur, scénariste et producteur

Né le 19 mai 1969 à Copenhague.

1993. Diplôme à l’École nationale de cinéma au Danemark.

1995. Cofondateur avec Lars Von Trier du Dogme 95.

1996. Les Héros, premier long métrage.

1998. Festen, premier film du manifeste Dogme 95. Prix du jury au Festival de Cannes.

2003. It’s all about love.

2005. Dear Wendy.

2012. La Chasse, avec Mads Mikkelsen, prix d’interprétation au Festival de Cannes.

2015. Loin de la foule déchaînée.

2016. La Communauté, avec Trine Dyrholm, Ours d’argent de la meilleure actrice.

2018. Kursk, sur le naufrage du sous-marin russe.

 

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